O la male heure où je fu né !
O que je suis infortuné !
Je me sens odieux
Aux hommes et aux Dieux.
Je ne puis plaire à mes amis,
Ny desplaire à mes ennemis :
Mes souhaitz tant divers
S’en vont tous à l’envers.
Mon amy use d’insolence,
Mon ennemy de violence :
Qui veut m’aider ne peut,
Et si me nuit qui veut.
Mon corps se consume, et se ronge,
Mon esperit travaille et songe :
Endurer je ne puis
D’estre ce que je suis.
L’esprit n’est jamais à son gré,
Qu’il ne monte à plus haut degré :
Mais tant plus il espere,
Et tant moins il prospere.
O que le Ciel ne me fit estre
Le filz d’un bonhomme champestre !
Toute chose j’eusse eue
Aussi tost que conceue.
D’avoir des biens ne m’eust chalu,
Sinon ce qu’il m’en eust fallu,
Et j’eusse de petit
Contenté l’appetit.
J’eusse tousjours eu ce bon heur
De vivre en paix sans deshonneur,
Jouir entre les miens
Seurement de mes biens :
Ou que je ne fu heritier
De quelque autre homme de mestier,
Ayant continuel
Le travail manuel.
J’eusse eu ma pensee assouvie,
Qui jamais n’eust esté ravie
A vaincre l’invincible,
N’a faire l’impossible.
J’eusse mon mestier exercé,
Et sans envie conversé
Sans tristesse n’esmoy,
Amis pareilz à moy.
Mais de vivre il m’est necessaire
Aupres de mon propre adversaire :
Mon mal est son grand bien,
Son bien est le mal mien.
Le pis est de voir et congnoistre
Bon gré mal gré mon malheur croistre :
Las combien gaigné j’eusse,
S’au berseau mort je fusse !
O tresennuyeux desconfort,
Qui mon cueur tormentez si fort,
Cessez malheurs, cessez,
Ou mourir me laissez.
Il est temps que prouve je face
Si la mort les ennuiz efface :
Oste moy hors d’icy,
O mort, s’il est ainsi.
Mais je cesse de me douloir,
Attendant des Cieux le vouloir :
Car tant plus je lamente,
Et plus mon mal s’augmente.